Un air de déjà vu. La mondialisation nest en effet pas un phénomène nouveau.
Depuis lenfance du Monde, de lAge du Bronze à Marco Polo, la migration lente
des objets, des idées et des hommes, au pas des chameaux et des chevaux, le long des
routes du Sel, de lEtain ou de la Soie, a tissé patiemment les liens qui nous
rassemblent aujourdhui. Mais il a fallu attendre les trains et les bateaux à vapeur
pour quà la fin du siècle dernier, la mondialisation entre une première fois dans
lHistoire.
Cette première mondialisation est née, comme celle daujourdhui, de la
libération des échanges et de lexplosion de technologies nouvelles. Les autoroutes
dalors nétaient pas virtuelles, mais maritimes et ferroviaires. Sur mer, le
canal de Suez, ouvert en 1869, réduisit de plus de la moitié la distance entre Bombay et
Londres; il en fut de même pour le trajet San Francisco-New-York, lors de
louverture du canal de Panama. Simultanément, avec larrivée de la vapeur, la
vitesse, la puissance et le tonnage des navires faisait des bonds prodigieux. A terre, le
développement du chemin de fer permettait de relier les contrées les plus lointaines :
le Canada était traversé en 1886, le Transsibérien atteignit Vladivostok en 1904.
Le volume du commerce international tripla entre 1870 et 1914. Ce mouvement semblait si
puissant quon le croyait irréversible. Sir Norman Angell, Prix Nobel de la Paix, et
chantre de la première mondialisation, pouvait ainsi écrire en 1910 : « les finances
internationales sont aujourdhui à ce point interdépendantes et liées au commerce
et à lindustrie que la puissance militaire et politique ne peut en réalité rien
faire. La rapidité des communications qui engendre une plus grande complexité de
crédit, déjà délicat, confère aux problèmes de la politique internationale actuelle
un aspect profondément et essentiellement différent de ceux dautrefois. » Quatre
ans plus tard, ce mouvement pacifique changeait soudainement de nature, laissant la place
à une mondialisation par les guerres, chaude ou froide. Cette « parenthèse » allait
durer près de 80 ans : « le commerce international des pays industrialisés rapporté à
leur production atteignait 12,9% en 1913 ; il était tombé à 6,2% en 1938 pour augmenter
quasi continûment jusquà 14,3% en 1993....» .