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IDEES Les Echos n° 17697 du 29/07/1998 p. 42



FAVILLA

Statut du travail

Quand Jacques Chaize, ancien président du Centre des jeunes dirigeants, dit que « l'important, ce n'est pas le temps de travail mais le statut du travail » (1), il nous invite à rompre avec une vision dépassée du salariat pour prendre en compte les évolutions du travail moderne.
Se disputer pour savoir si la semaine doit être de 40, 35 ou 30 heures témoigne que l'on se situe toujours dans le cadre de travail continu. Or la vraie révolution n'est-elle pas dans la discontinuité du temps de travail ? Discontinuité au niveau de la journée et de la semaine _ dont l'extension du temps partiel est le signe le plus visible _, de l'année _ illustrée par la croissance des CDD et de l'intérim _, de la vie entière _ dont attestent les périodes d'interruption comme le chômage ou la formation. Là est le défi de demain : comment le travailleur peut-il affronter cette discontinuité _ et même en profiter _ si elle se traduit par l'absence de toute garantie permanente et le plonge dans l'insécurité ?
Une discontinuité d'un autre ordre affectera en outre son statut personnel. Il sera tantôt salarié sous contrôle permanent, tantôt prestataire de service indépendant, tantôt stagiaire en formation, tantôt partagé entre une pluralité d'employeurs, tantôt sans emploi. Pour trouver du travail, il lui faudra accepter d'aller, selon une expression de plus en plus vide de sens, de travail atypique en travail atypique. Le drame est que seul le statut de salarié permanent reste fidèle aux termes de l'échange fondateur : subordination contre sécurité. Notre droit se trouve ainsi en contradiction avec l'organisation de l'entreprise moderne qui, aux antipodes de la stabilité, repose au contraire sur la coordination d'individus mobiles.
On comprend pourquoi des juristes européens réunis par la Commission de Bruxelles plaident si vigoureusement pour un statut du travail qui ne soit plus lié _ comme c'est actuellement le cas _ à l'emploi occupé mais instaure la continuité d'un état professionnel au-delà de la diversité des emplois. Il leur paraît en effet qu'« il n'est pas durablement tenable de demander à des travailleurs de s'impliquer toujours plus fortement dans une entreprise qui ne les assure d'aucune espèce d'avenir, ni en elle, ni en dehors d'elle ». Ils ne voient pas davantage quel sens pourrait avoir une liberté concrète du travail permettant de passer d'une activité à une autre sans l'assurance de conserver ce statut professionnel permanent.
Reste aux spécialistes à définir cet état professionnel « accompagnant les personnes du berceau à la tombe et couvrant aussi bien les périodes d'inactivité que les périodes d'emploi, de formation, de travail indépendant ou de travail hors marché ». La formule du contrat d'activité proposée par le rapport Boissonnat en proposait une première esquisse. Alors qu'il y aurait là un moyen de favoriser la flexibilité en combattant la précarité, on se demande pourquoi cette recherche d'un nouveau statut du travail ne mobilise pas plus les responsables politiques et sociaux. Rien ne s'y oppose pourtant, selon Jacques Chaize, « sinon routine et habitudes ».


FAVILLA



(1) « Le Grand Ecart », éditions
Village mondial.