Dominique Huynh.

A la réflexion, je trouve qu'il manque un terme dans l'équation du management
que vous proposez. Au sens où une idée, c'est "thèse-antithèse-synthèse". Où
la pensée progresse par négation et par dépassement.
Je m'explique.
Votre ouvrage milite pour un management très "humaniste", visant à libérer la
créativité, l'initiative, la responsabilité.
Il passe sous silence les contraintes ou raisons qui ont conduit aux
structures actuelles (la thèse).
Je trouverais intéressant que vous exposiez comment, en pratique, vous
réalisez la synthèse, et pas seulement que vous exposiez un nouveau modèle
(l'antithèse).
Un exemple: vous décrivez les différentes phases du deuil, pour illustrer les
différentes étapes du changement.
Toutefois, on ne peut pas ignorer que tout l'intérêt de la métaphore du deuil,
est bien qu'il renvoie à une certaine souffrance.
Par conséquent, le manager qui veut introduire le changement doit être prêt à
infliger la souffrance; et pas seulement être capable de le faire croire car
personne n'est si bon comédien qu'il n'ait jamais à prouver.
De même, pour changer lui-même, il doit être capable de ce travail de deuil.

Tout cela pour dire, que d'une certaine façon, il y a un voile jeté sur la
dureté nécessaire(?).
Dureté qui apparait par exemple dans "One on One with A. GROVE", et qu'on ne
devine pas dans "Le management multiplicateur".
Dureté qui donne son sens aux considérations du "Fil de l'épée" sur la
difficulté de décider. Et dont on sous-estime trop souvent l'importance.

Je pense qu'en grande partie, la difficulté à mettre en oeuvre des modèles de
management plus axés sur la richesse de l'individu, est que l'on ne sait pas
résoudre l'équation complète, c'est-à-dire celle qui intègre la nécessité
extérieure.

De mémoire, vous écrivez dans votre précédent livre, qu'il faudrait accorder
au travailleur intellectuel, la liberté que l'on accorde à l'artiste, et en
particulier celle de produire quand il le souhaite.
Je pense que les modalités de mise en pratique de cette idée mériteraient
d'être exposées et intéresseraient beaucoup de monde.

En effet, on ne peut manquer d'être convaincu par les idées que vous avancez.
De là à réussir à les mettre en pratique il y a un monde, car le prix à payer
est passé sous silence.
Savoir comment vous résolvez l'équation complète serait riche d'enseignement
pour le lecteur; car si cette résolution passe par une prise de risque, elle
passe aussi par la créativité. Et: "pourquoi pas moi ?".

L'auteur d'un livre de management, à qui je faisais remarquer qu'il y avait un
certain écart entre la contruction intellectuelle contenue dans son livre, et
la mise en pratique au sein de l'entreprise où il exerçait, m'a répondu qu'un
livre de management c'est un peu comme le cinéma: il faut faire rêver.

Certes.
Mais son livre n'aurait-il pas eu plus d'utilité pour ses collègues, s'il y
avait admis les difficultés plutôt que de les passer sous silence ?

Merci de vos commentaires.

 

Jacques Chaize

Mon but n'est pas de faire rêver; je crois que ce livre (ai-je vieilli) est
moins angélique que le premier.
Mais je n'avais pas non plus envie d'écrire "l'horreur managériale", style
Forrester. Les français semblent par ailleurs s'y complaire; la maturité des
Asiatiques (hors Japon et indonésie) dans la crise actuelle devrait
d'ailleurs nous rendre modeste.
Je préfère l'humour de Dilbert pour rendre compte de nos contradictions, de
nos insuffisances, imperfections et "impostures".

Si vous reprenez la première partie du livre, j'ai essayé d'y traiter la
thèse et l'antithèse, en
partant d'une perspective plus large que celle de l'entreprise, trop
facilement choisie comme bouc émissaire de nos difficultés sociétales.....La
dichotomie mitoyenne- citoyenne à laquelle on la réduit est un exemple de ce
double rythme. De même dans le chapitre sur l'entreprise est virtuelle..pas
nous, j'ai essayé de jouer les deux registres entrelaçés.
Tout cela pour des raisons de forme: quand on fait la séquence
thèse-antithèse-synthèse....c'est souvent ennuyeux pour le lecteur.
Ma deuxième partie est plus une synthèse qu'un anti-thèse. Le chapitre du
changement n'a rien d'angélique et ne nie pas le travail du deuil mais
construit à partir de sa reconnaissance.
Si l'ensemble apparait "humaniste", c'est parce que j'assaye d'entrainer le
lecteur dans une démarche "proactive" (pour utiliser le jargon) . Pour avoir
passé cette
semaine avec des asiatiques, aux antipodes pragmatiques de notre humanisme
judéo-chrétien, je crois précisément que nombre des chapitres de la deuxième
partie sont plus pragmatiques qu'il n'y paraît, et ne cherchent pas à
"magnifier" les hommes ou les pratiques: les techniques de dialogue sont des
outils, pas des intentions généreuses; les outils d'apprentissage sont des
procédés de survie et de compétition....Quant à l'apprentissage, j'ai
raconté hier l'histoire des mésanges et des rouge-gorge devant un auditoire
"mi-caucasien" mi-asiatique...ce sont les occidentaux qui se sont sentis
attaqués; les Chinois rigolaient discrètement!
Je crois que votre réaction sur le sujet, que je partage, vient du fait que
trop souvent, les mots sont détournés: ainsi le dialogue est souvent promu
comme une espèce d'écoute compatissante , quand je le propose comme une
discipline d'efficacité collective.
Désolé d'être aussi long. Je n'essaie pas de me justifier...J'anime un
groupe de 500 personnes aux cultures diverses; ce n'est pas drôle tous les
jours. J'ai vécu le deuil dont vous parlez quand mon entreprise a changé
d'actionnaires; je l'ai fait "subir" à ceux que j'ai rachetés depuis....Les
méthodes de la deuxième partie, que j'utilise au quotidien -références de
base, plutôt qu'expédients à la mode- marchent plus souvent qu'on ne
l'imagine....même avec une délégation de la CGT!