extraits du chapitre 10 paru dans
Progrès du Management.
Revue de l'APM juillet 1998
première leçon: l'Invention du
but
Le 18 février 1519, Hernan Cortès quitte Cuba pour conquérir le Mexique avant
que Diego Velasquez, le gouverneur espagnol qui lui a confié une simple mission de
reconnaissance sur les côtes du Yucatan, n'ait eu le temps de le relever de son
commandement. Tandis que ce dernier cherche -et trouve- d'autres décisions mineures à
prendre, Cortès "invente" son but, la conquête du Mexique et de ses richesses.
Toute sa fortune a été investie dans ces onze navires qui lèvent lancre,
emportant avec eux une centaine de marins, cinq-cents soldats, quatorze canons et seize
chevaux.
Entreprendre est le mouvement fondateur : il
nest pas dentreprise sans entrepreneurs. Le rôle essentiel du dirigeant est,
plus que jamais dinventer le but. Aujourdhui, lentreprise
" hypertexte " le libère de toutes ces décisions du quotidien, dans
lesquelles il finissait par se noyer, décidant de tout et de rien, au fil de leau,
des singes quon lui confiait au hasard des réunions et des rencontres.
Linformation circule désormais si vite quil na plus lexcuse, pour
ne pas décider, dattendre le bateau qui amène les ordres du Roi dEspagne.
Inventer le but, cest définir, redéfinir, remettre en cause sans cesse
loffre de lentreprise. " Nous avons beaucoup changé pour ne pas
changer de métier, lachat à distance " résumait Emmanuel dAndré,
Président de Trois Suisses International. Inventer le but, cest deviner et
débusquer les courants porteurs, tracer de nouvelles ambitions, repousser les
frontières, désapprendre les anciennes modes, proposer de nouvelles règles du jeu.
Cest choisir une stratégie, négociation essentielle entre le rêve et la volonté,
le souhaitable et le possible, les ressources à économiser et celles quil faut
mobiliser. " Il faut être à la fois visionnaire, entrepreneur et
investisseur " pour réunir dans le but lensemble des partenaires de
lentreprise, depuis les actionnaires jusquaux fournisseurs en passant par les
clients et collaborateurs. Il faut que le but en vaille la peine !
deuxième leçon: L'Intuition du chemin
Malinche, une jeune captive indienne, révèle à
Cortès les faiblesses et les peurs des Aztèques; grâce à elle, il exploitera,
l'incarnant à son profit, la fameuse prédiction du retour vengeur du dieu Quetzalcoalt.
Entreprendre, cest choisir un chemin différent. Combien dentreprises ont dû
leur succès à leur " positionnement " autant sinon plus quà
leur produit ? De la création du Bon Marché à larrivée dInternet, les
chemins qui conduisent à lEspace du Marché sont multiples. Combien
dentreprises continuent, faute dimagination ou de courage, parfois les deux,
à reproduire les chemins convenus de leurs organisations
De même que la Vision du But ne senseigne dans aucune école de management,
lIntuition du Chemin requiert une certaine indépendance desprit; être
nomade, transversal, iconoclaste, nourrir sa décision en marchant, savoir susciter et
discerner, parmi les événements ordinaires, ceux qui portent les signes dun chemin
nouveau, autant de manifestations de lintuition. Lintuition du Chemin,
cest un regard transformé en action. Savoir regarder, cest savoir utiliser le
temps, réserve stratégique inestimable. Les prisonniers du temps, dos au mur, poussés
par lurgence, ne décident pas, mais réagissent. Ouvrir la prison du temps,
cest se donner le temps du voyage et le temps du dialogue, deux temps qui souvent ne
font quun. Le chemin se construit dans la présence intense comme dans l'absence
attentive, par la décision rare et la délégation de chaque instant, esprit, agenda et
bureau vidés des routines, ouverts aux projets!
troisième leçon: l'Incertitude du
risque partagé
Montezuma, l'empereur superstitieux, informé heure par
heure de l'avancée des Espagnols, hésite pourtant, incertain de la décision à prendre;
qui est Cortès? un dieu, invincible et vengeur, ou seulement un homme, cupide et
vulnérable? Cortès, lui, exploite l'incertitude qui tuera Montezuma.
L'incertitude, comme l'information, nourrit la décision: notre monde hyper-informé ne
l'a pas tuée. Tant mieux: c'est une garantie et une promesse de libertés,
d'opportunités, d'inventions. Diriger, c'est donner une perspective, un sens à
l'incertitude et la mobiliser pour faire levier sur le futur; faire partager cette
incertitude, cest montrer le mouvement de grand écart quil faudra faire.
Cest à la fois montrer la difficulté de la tâche et laccessibilité du but,
parce que partagé.
Lentrepreneur na pas de problèmes pour motiver; la vision du but et le choix
du chemin suffisent à donner envie dentreprendre avec lui. Les managers ont des
problèmes de motivation de leurs collaborateurs, faute davoir su créer un but et
un chemin dans lesquels ces derniers reconnaissent leurs propres buts et chemins. Nous
sommes à la fois motivés par le but et le chemin. Partager lincertitude de la
réussite ne se délègue pas : lincertitude, comme le diable, se nourrit aussi
des détails; aussi faut-il avoir les yeux sur lhorizon et regarder où lon
met les pieds, à chaque pas !
Lincertitude ne doit pas tuer linitiative et lesprit de décision :
mettre lentreprise en mouvement, cest décider ; décider, c'est vouloir
inventer son futur. Réservé à quelques-uns dans l'entreprise traditionnelle, l'art de
décider est exercé par le plus grand nombre dans l'entreprise
" hypertexte ". Décider est depuis toujours un exercice à la fois
raisonné et intuitif. Décider, cest de plus en plus savoir passer de la décision
reproductrice à la décision créatrice, de la pensée rationnelle au regard en action,
de l'information inquiète à l'incertitude sereine.
Une fois la décision prise, lentreprise se met en mouvement, vient le souci de
léquilibre.