Une interview de l'auteur par Philippe Bloch et Ralph Hababou
auteurs de "Service compris" et "Dinosaures et Caméléons" 

 

 

Après "La porte du changement s'ouvre de l'intérieur", vous publiez "Le Grand Ecart" aux Editions Village Mondial. A quoi faites-vous allusion ?

Au début des années 90, la question à l’ordre du jour c’était " faut-il changer ? ". Aujourd’hui, tout le monde est conscient que ceux qui n’avancent pas reculent…Le grand Ecart symbolise à la fois la nécessité de changer et la difficulté de le faire. Dans la société, nous sommes passés d’ un monde vertical, protégé derrière ses frontières, à un monde transversal, ouvert. Dans l’entreprise, les frontières permettaient d’oublier le client, à l’abri des monopoles ou des singularités parfois artificielles de chaque marché. Intellectuellement, nous comprenons tous cette nécessité de changer de monde. Mais dans l’exercice au quotidien, nous restons marqués, conditionnés par les habitudes anciennes ; nous manquons de points de repères et de réflexes adaptés à ce nouveau marché mondialisé, en réseau, instantané. Le but de ce livre est précisément d’identifier tous ces nouveaux paradigmes, ces nouvelles grilles de lecture et de proposer, à partir d’expériences vécues, quelques clés pour que le quotidien ne soit plus ce grand écart douloureux que beaucoup subissent encore.

Vous y annoncez les débuts de l'entreprise hypertexte, qui semble placer le client au coeur d'un nouveau mode d'organisation. En quoi les entreprises hypertextes sont-elles plus en mesure de satisfaire le client "cliqueur" que les autres ?

Une des façons de résoudre le grand écart, c’est effectivement de placer le client au centre de gravité de l’entreprise. Il ne s’agit pas de l’entourer de guichets mais d’accepter d’être prêt à lui répondre quand il décide de " cliquer " sur l’entreprise. C’est ainsi que l’entreprise devient " hypertexte ". Un " hypertexte " est un texte où les mots ne sont pas passifs. Chacun d’entre eux contribue au sens du texte. Chacun d’eux, activé par un simple clic de souris, peut ouvrir sur d’autres textes ou d’autres univers. De même, l’entreprise hypertexte se construit à partir des liens imprévisibles qu’établit son client, autour de la valeur ajoutée à produire. Il suffit de " cliquer" sur le savoir-faire essentiel, le moment voulu, pour construire de lien en lien, le produit ou le service désiré. Il faut donc que chacun, comme les mots d’un hypertexte, soit prêt à jouer son rôle, à tout moment, enrichissant la phrase que l’entreprise compose pour son client…. !

En tant que dirigeant d'entreprise, quels sont les principes décrits dans votre livre que vous appliquez avec succès au quotidien ?

Pour que mon entreprise soit vraiment " hypertexte ", j’essaie de mettre en œuvre trois principes simples.

Pour allier vitesse d’exécution et qualité de service, chacun doit d’abord avoir un accès direct à l’action, sans intermédiaire hiérarchique inutile : pouvoir agir de façon autonome, en réseau. Une personne autonome ne travaille pas " pour quelqu’un " mais " avec quelqu’un . Dans mon entreprise, nous avons réduit au minimum les niveaux hiérarchiques, en distribuant les trois dimensions de la hiérarchie : l’autorité, l’expertise, la relation.

La seconde pratique, c’est le dialogue : il s’impose quand le changement est permanent: il faut passer davantage de temps à définir les buts plutôt que de se concentrer uniquement sur les procédures ; le but doit se construire dans la tête de chacun, clair , tandis que les chemins pour l’atteindre peuvent changer en permanence pour s’ajuster aux besoins du marché, du client…. Le déclic se fait quand on comprend soi-même, rarement quand on vous impose une vision que vous ne comprenez pas. Aussi faut-il accepter le vrai dialogue, qui s’ouvre sur l’incertitude, plutôt que la discussion qui veut imposer ses vues contradictoires. Ainsi, lorsque j’anime une réunion, je ne préjuge pas à l’avance du résultat ; je fais confiance à l’intelligence du groupe; accepter l’incertitude n’est pas de la faiblesse mais une technique de management.

Enfin, l’apprentissage : tout le monde dit que l’entreprise est devenue apprenante. Il est plus difficile de mettre en place ces apprentissages. J'ai eu la chance d'animer, dans le cadre de la commission Progrès des Entreprises du CNPF, une commission à la fois théorique et pratique sur l’apprentissage en entreprise. Sur ces travaux, nous avons construit notre propre pratique d’apprentissage en entreprise, pour faire évoluer les métiers et les savoirs en phase avec les besoins du client.