L e  M O N D E - I N I T I A T I V E S


Mercredi 17 juin 1998

Et si la vraie question n'était pas le temps de travail, mais son statut ?

par Jacques Chaize


R éduire le temps de travail ne résoudra pas un problème que beaucoup considèrent comme essentiel : celui du statut du travail. La question est délicate à poser dans un pays où le statut de salarié confère parfois plus de droits sociaux et de poids politique que le seul statut de citoyen. Mais c'est une question devenue centrale : la multiplication des contrats à durée déterminée, l'écart de plus en plus grand entre salariés "à statut" et travailleurs "précaires" créent des clivages qui deviendront bientôt insupportables.

Le statut du travail doit être revisité car le travail a changé. Adapté aux modes de production industriels de masse, le contrat de travail, naguère, s'insérait dans un cadre collectif. La sécurité du plein emploi, implicite, était un confort réel. Un plan de formation, couplé à un plan de carrière, balisait l'avenir. Mais, aujourd'hui, sécurité, formation et promotion ne sont plus assurées quand il s'agit d'apporter des contributions compétitives, compétentes et flexibles pour répondre à une demande changeante et exigeante.

La sécurité a disparu, la précarité l'a remplacée. Les anciens métiers ne sont pas encore morts mais ils sont déjà obsolètes ; les nouveaux métiers balbutient. L'économie du savoir remplace peu à peu l'économie industrielle traditionnelle ; en attendant de retrouver un rythme de croisière nouveau, nous subissons les contrecoups de l'adaptation.

Le travail apportait une promotion assurée ; aujourd'hui, il faut assurer soi-même la promotion de sa carrière. L'entreprise n'est plus le dieu tutélaire de naguère. Elle s'interroge sur sa propre pérennité. Quand elle propose un parcours d'évolution, c'est un chemin en zigzags : il faut changer de métier plusieurs fois, les niveaux hiérarchiques réduits ne promettent que de très courtes ascensions, le parcours peut s'interrompre à tout moment quand changent le périmètre de l'entreprise, ses actionnaires, ses ambitions.

Le travail apportait formation. Aujourd'hui, il ne s'agit pas seulement de se former, il faut aussi s'étalonner en permanence par rapport au marché international des compétences. Ici, le fossé se creuse entre les travailleurs du savoir à l'aise dans l'espace du marché mondialisé et ceux qui n'ont à offrir que leurs bras inutiles et leur temps disponible. Le contrat de travail avait un caractère collectif ; aujourd'hui, il met en jeu la responsabilité individuelle : dans l'économie du savoir où le service a pris le pas sur le produit, où la qualité de relation au client est devenue un avantage concurrentiel majeur, compétence et compétitivité passent par les personnes.

Faire évoluer le statut du travail suppose de rénover le droit du travail, construit au fil des siècles. La tentation est grande pour certains de copier, en l'état, les pratiques anglo-saxonnes. Ce serait une erreur. Sans viser à préserver à tout prix l'exception française, on pourrait imaginer une évolution du droit qui permettrait d'intégrer sécurité et souplesse, risque et rigueur.

C'est dans cette perspective que s'est inscrite, en 1996, la contribution de la commission Le Travail dans vingt ans, animée par Jean Boissonnat, à laquelle, trop rare chef d'entreprise, j'ai participé. Une de ses propositions majeures répond à la fois à cette évolution inéluctable du contrat de travail et à la nécessité de réduire les inégalités de statuts. Il est proposé de créer un cadre global, appelé contrat d'activité, passé entre une personne et un groupe d'employeurs pour une durée de cinq ans.

Dans ce contrat peuvent s'insérer aussi bien des contrats de travail classiques, des contrats de collaboration plus souples, des périodes de formation, voire d'inactivité. Le passage d'une période à l'autre n'aurait pas le caractère traumatisant de la situation d'un salarié soudainement privé d'emploi. Ce contrat permet aussi de résoudre l'alternative actuelle entre contrats à durée déterminée ¯ la majorité des nouvelles embauches ¯ et contrats à durée indéterminée.

Par ailleurs, les dépenses de formation, pour l'instant mesurées en moyenne au niveau de l'entreprise, seraient affectées aux personnes, via le contrat d'activité. Ainsi chacun se constituerait peu à peu son propre crédit-formation, dont il pourrait user entre deux contrats et grâce auquel il pourrait investir dans le renouvellement ou l'acquisition des compétences nécessaires à son évolution. L'employabilité y gagnera et le niveau de compétences collectif sera renforcé. Rien, sinon routine et habitudes, n'empêche la mise en place d'un tel contrat, expérimenté déjà par plusieurs groupements d'employeurs.

 


 

Jacques Chaize est dirigeant d'entreprise et auteur du "Grand Ecart, les débuts de l'entreprise hypertexte" (Village mondial, 1998).