2005, Odyssée du Changement
Congrès de Lyon, 26 juin- 01 juillet 2000


l Changement : qui résiste vraiment ?

Entretien avec Jacques CHAIZE

Jacques CHAIZE dirige SOCLA et plusieurs entreprises dans le secteur de la robinetterie industrielle regroupant autour de 500 personnes (en France et dans le monde). Il a présidé le CJD (Centre des Jeunes Dirigeants d’Entreprise) de 1988 à 1990 et est l’auteur de deux ouvrages : La porte du changement s’ouvre de l’intérieur (Calmann Levy, 1994) et Le grand écart (Village Mondial, 1998).

 

IFEC : Dans votre ouvrage « La porte du changement s’ouvre de l’intérieur », vous affirmez que les « entreprises-pyramides » sont condamnées à mourir. Quelles sont ces entreprises et pourquoi sont-elles condamnées à mourir ?

Jacques CHAIZE : Aujourd’hui les choses changent vite du fait de la concurrence, de la mondialisation, des nouvelles technologies. Or dans ce contexte, les entreprises, que l’on peut décrire comme des assemblages de maillons, sont déstabilisées ; et celles qui sont organisées de façon pyramidale s’effondrent. D’ailleurs, on s’aperçoit aujourd’hui que cela n’est pas une question de taille : quelles soient grosses ou petites, les « entreprises-pyramides » ne peuvent adapter leur offre de façon aussi rapide que nécessaire.

 

IFEC : Quelle est selon vous la responsabilité du chef d’entreprise face au changement ? Comment peut-il le favoriser au sein de ses équipes ? Quels sont les modes de fonctionnement du chef d’entreprise qui, à l’inverse, favorisent la résistance au changement ?

J.C. : Le chef d’entreprise doit tout d’abord essayer de voir plus tôt que les autres les nouvelles réalités : il doit être capable de rassembler les signaux faibles, pour faire passer la communication du changement.

Deuxièmement, – et cela constitue un prolongement du point précédent – le chef d’entreprise doit savoir agir vite : il doit être capable d’incarner le changement et l’action rapides.

Enfin, il doit mettre en place ce qu’il perçoit, sans craindre de faire différemment de ce qui se faisait jusqu’alors : cela peut signifier réorganiser, externaliser certaines fonctions, etc.

A l’inverse, le chef d’entreprise porte une lourde responsabilité lorsqu’il laisse s’étendre l’étape entre l’ignorance et l’attentisme : on peut vous trouver des excuses pour ne pas avoir vu le changement ; en revanche, à partir du moment où vous l’avez vu, vous n’avez plus d’excuse pour ne pas avoir agi. Aujourd’hui, on ne peut se permettre d’être attentiste.

 

IFEC : La détermination du changement doit-elle être le domaine réservé du chef d’entreprise, ou le fruit d’une participation large des salariés ? Quels mécanismes avez-vous mis en place en ce sens dans vos entreprises ?

J.C. : Le changement doit être le fait de tout le monde. Un certain nombre d’outils peuvent être pour cela mis en place :

·        Tout d’abord, il doit y avoir un changement de grille de lecture. Dans Le grand écart, j’ai ainsi mis l’accent sur la nécessité de favoriser le cerveau droit face au cerveau gauche pour encourager le changement : en effet, le premier est le siège de l’humour, de la subversion et de l’image ; le second est à l’inverse celui de la rationalité. Et le cerveau gauche, s’il peut être utile pour interpréter les changements, est impuissant pour produire une nouvelle grille de lecture. Avant de faire comprendre le changement, il faut d’abord le faire voir.

·        Une seconde entrée peut être trouvée grâce à la notion d’apprentissage en équipes : à partir du moment où le changement est permanent, il faut intégrer dans le mode d’organisation de l’entreprise la capacité de bien faire et de bien changer au quotidien. Cela signifie que le changement ne doit pas être le fait de l’action séquentielle de la hiérarchie, mais qu’il doit être au contraire permanent. Cela signifie également qu’il faut passer d’une culture du « comment » où l’on exécutait les ordres sans se poser de question, à une culture du « pourquoi » où la vision et la compréhension de l’objectif priment et conditionnent la qualité de l’action.

Cela n’est pas facile à faire, mais pour y parvenir, nous avons mis en place une méthodologie basée sur quatre principes :

- Le groupe ne peut fonctionner s’il n’est pas lui-même à l’origine de la question, car c’est la seule façon de la rendre légitime aux yeux des personnes qui le composent ;

- Le groupe ne doit pas être privé de la réponse. Il n’y a rien de plus mauvais que de faire travailler un groupe sur un problème et au final, de lui imposer une autre solution.

- Il faut réussir à mettre un client dans le groupe, soit réellement, soit en veillant à ce que quelqu’un pose la question systématique de ce que penserait le client des évolutions du produit ou du service  ;

- Dans la mesure où les contrats évoluent en permanence, il est essentiel d’avoir toujours à l’extérieur du groupe, mais à l’intérieur de l’entreprise, un contributeur « naïf », qui puisse faire le lien avec le reste de l’entreprise.

Enfin, pour boucler tout ce processus, nous avons remplacé le comité de direction par un comité de pilotage, qui est constitué de toutes les personnes porteuses de projets, quel que soit leur niveau hiérarchique. Ce comité se réunit toutes les six semaines environ pour faire une revue de tous les projets en cours dans l’entreprise. Cela permet de mettre en perspective de façon plus harmonieuse les différents projets en évitant à la fois que certains ne soient bloqués par une autre fonction de l’entreprise ou par d’autres projets, en même temps que d’écarter ceux projets qui ne marchent pas.

 

IFEC : Pour changer l’entreprise, vous ne semblez croire ni au changement d’organisation, ni au remplacement des hommes. Pourquoi ? Que faut-il faire alors pour changer l’entreprise ?

J.C. : Pour changer l’entreprise, beaucoup de dirigeants cherchent effectivement à changer de façon alternative les hommes et l’organisation. Ce jeu de balancier est à la fois coûteux, cruel et inefficace : en effet, le changement d’organisation ne changera pas les hommes, et inversement, le changement des hommes ne modifiera pas l’efficacité de l’organisation.

Par contre, si les dirigeants parviennent à percevoir plus vite les évolutions, ils pourront faire avancer l’entreprise de façon plus harmonieuse, sans avoir besoin de changer brutalement les hommes ou l’organisation.

 

IFEC : La résistance au changement est-elle nécessairement un mal ? Faut-il chercher à l’annihiler ?

J.C. : Ce n’est pas un mal à partir du moment où elle permet de faire sortir les attendus de cette résistance, c'est-à-dire « pourquoi je résiste ? ». Du moment où je connais la réponse à cette question, j’ai déjà la moitié de la solution, et la résistance devient alors de l’énergie pour rebondir. Par ailleurs, les organisations qui ne connaissent pas de résistance sont aussi bien souvent des organisations sans âme.

Mais en même temps, à ceux qui s’accrochent aux traditions, je rappelle que ce mot trouve son origine dans le verbe latin « tradere » qui signifie transmettre : la tradition est donc ce qui vaut la peine d’être transmis ; elle ne peut servir à justifier tous les conservatismes.

 

IFEC : Quelle importance donnez-vous à la communication interne dans la conduite du changement ? Et à la culture d’entreprise ?

J.C. : La communication est un outil de plus en plus essentiel, en ce qu’elle décrit une interaction. Dans Le grand écart, je distinguais cependant discussion et dialogue : si la communication ne permet pas la remise à plat des convictions et l’exploration de ce que pense l’autre, je pense qu’elle conduit droit à l’échec (il suffit de voir par exemple les récentes discussions entre le gouvernement et le patronat sur les 35 heures). A l’inverse, le dialogue doit permettre de trouver une solution où tout le monde peut s’en sortir dans les meilleurs conditions.

J’ai la conviction forte que la communication doit être un échange dont on ne sait pas quel va être le résultat. Et curieusement, c’est cette dernière condition qui est la garantie d’un bon résultat : si le résultat est connu avant la discussion, le dialogue n’aura pas lieu et il n’y aura pas de production d’idées.

Quant à la culture d’entreprise, elle doit permettre de repérer les personnes porteuses de changements et surtout, de changements réussis. Inversement, elle doit permettre de repérer, mais sans non plus trop les stigmatiser, celles qui ont tendance à préférer le passé au futur.

 

IFEC : Le développement de l’autonomie ne risque t-il pas de conduire aussi à un renforcement de la résistance au changement ?

J.C. : Je ne sais pas si ces deux notions sont liées. Si effectivement, il n’y a plus de dialogue du fait de l’isolement, il y a un risque. En même temps, l’autonomie présente l’avantage de permettre une plus grande vitesse de réaction.

Certaines personnes peuvent craindre qu’un contexte d’autonomie rendent les process d’exécution plus difficiles. Pourtant, lorsque les gens sont autonomes, savent et comprennent où ils vont, alors, ils arrivent à leur but beaucoup plus vite : c’est toute la métaphore du vol d’oiseau ou du banc de poisson.